Nous habitons un monde et des espaces abîmés. Pollution, épuisement énergétique, effondrement de la biodiversité, expansion des inégalités sociales, etc. Dans ce contexte émerge une pensée qui insiste sur une sortie de l’anthropocentrisme et de la modernité extractiviste, sur un renouveau des pratiques politiques élargissant la souveraineté jadis capturée par sapiens sapiens vers une diplomatie des vivants, une politique multi-spécifique. L’ensemble de ces théories, souvent largement prospectives, réclament une pratique d’interprétation et de traduction des intentions des mondes autres qu’humains vers les mondes humains. Comment interpréter et traduire dans un monde humain les souffrances, les désirs, les rêves qui émergent de la biosphère ? Comment, à partir de cette écoute et de sa possible traduction, renouveler nos constructions collectives, politiques, juridiques ?
Le Lichen est un collectif qui vise à explorer des méthodes d’organisation des espaces de vie intégrant les perspectives des vivants autres qu’humains. Considérant les multiples interdépendances qui structurent la géo-biosphère et l’entrelacement des formes du vivant, il nous semble important d’explorer collectivement des manières sensibles et pratiques pour résister et nous organiser (structurer nos collectifs, ménager nos milieux, prendre soin de nos territoires, etc) en intégrant, autant que possible, les perceptions et les perspectives de toutes les entités vivantes.
Le Lichen défend et met en œuvre une approche pragmatique, incarnée, formaliste et esthétique. Il ne s’agit pas tant ici de parler multispécifisme, bio-diplomatie, approche sensible ou personnification des éléments de la nature. Il s’agit bien plutôt de tester, en engageant les corps – y compris les nôtres – , des manières de connexion entre espèces permettant de recomposer des collectifs, et potentiellement tous les domaines de l’organisation de nos vies : urbanisme, économie, habitat, aménagement, alimentation, éducation, etc.
Les méthodes que se propose d’explorer le Lichen, comme un enfant à l’esprit syncrétique et curieux, proviennent de combinaisons, plus ou moins savantes et toujours joyeuses, entre différentes « traditions », elles-mêmes très diverses : savoirs vernaculaires (paysans, druidisme, chamanisme…), savoirs scientifiques (biologie, éthologie, géologie…), écopsychologie et écologie profonde, pratiques sensorielles, corporelles ou symboliques de l’espace (sylvothérapie, constellations, géobiologie, médecine symbolique…), éthique environnementale, intelligence collective, etc.
Missions et programme d’activités
1 – Organiser une veille sur les expériences pratiques de connexion entre espèces, créer des échanges sur ces sujets, rassembler des êtres humains que cela intéresse et mettre en œuvre, de manière exploratoire et embryonnaire, un collectif (le Lichen) intégrant lui-même les vivants autres qu’humain.e.s et modélisant ainsi une possible organisation multi-spécifique et bio/éco-inspirée.
2 – Inventer des méthodes pour bâtir des collectifs humains intégrant, via la connexion sensible, des perspectives autres qu’humaines. Organiser des expériences, des rassemblements, provoquer des occasions pour tester et explorer ces méthodes.
3 – Documenter ces expérimentations et les diffuser. Tenter de former à ces méthodes émergentes, accompagner les acteurs territoriaux ou académiques volontaires, combiner ces manières de faire avec le monde qui commerce, bavarde, mange et construit des supermarchés.
Ces missions se déclinent dans un programme d’activités évolutif et souple comprenant :
> Des résidences de création méthodologique. Entre membres du collectif, ces rassemblements visent à créer des outils de connexion entre espèces ainsi que des manières de s’organiser à partir de ces connexions. Ces résidences peuvent aussi être l’occasion de « béta-tester » certaines méthodes.
> Des rassemblements ouverts. Événements permettant de tester des méthodes sur un public large (plusieurs dizaines de personnes humaines). Ce « public » est aussi amené à vivre une expérience de vie collective durant le rassemblement. Trois rassemblements de la sorte ont déjà eu lieu et donné naissance au Lichen (le Laboratoire des attachements – mai 2021, l’Assemblée de la forêt – août 2021, Explorer le vivant en Beaujolais – octobre 2021).
> Des accompagnements. Sur demandes particulières, le Lichen propose d’accompagner des porteurs de projets, des collectifs, des dispositifs existants, désireux d’augmenter la prise en compte des perspectives autres qu’humaines dans leurs fonctionnements ou activités (pour exemple, lors de l’assemblée de la forêt, nous avons tenté – via une « constellation de tous les êtres » de conseiller un propriétaire forestier sur la conduite à tenir vis-à-vis d’une parcelle de pins douglas décimés par la suractivité des scolytes).
> Une production documentaire. Le Lichen construit chemin faisant une documentation partagée autour des méthodes de connexion entre espèces. Celle-ci prend notamment la forme d’un atlas-guide collaboratif (avec un horizon d’édition) ainsi que de futures rencontres ou journées d’étude.